Entretien :Yves Bigot: «Le français peut être une langue majeure des XXIe et XXIIe siècles»

Yves Bigot: «Le français peut être une langue majeure des XXIe et XXIIe siècles»

INTERVIEW – À l’occasion de la Semaine de la francophonie, le directeur général de TV5MONDE revient sur les enjeux de l’apprentissage de la langue française dans le monde.

Par Alice Develey

«L’élite américaine souhaite apprendre le français. C’est un plus face à la concurrence notamment lorsqu’on cherche un top job», indique Yves Bigot. © PIERRE-OLIVIER / TV5 Monde/© PIERRE-OLIVIER / TV5 Monde

Avec plus de 300 millions de francophones dans le monde, le français fait figure de mastodonte dans le paysage linguistique mondial. Son rayonnement n’est plus à discuter, même si les défis et limites à la croissance de la francophonie sont nombreux.La chaîne de télévision TV5MONDE participe de cet essor, puisqu’elle est disponible dans près de 354 millions de foyers, dans 198 pays, dont la Corée du Nord. Son président, Yves Bigot, explique pourquoi la francophonie est l’avenir de la langue française.

LE FIGARO. – Comment définiriez-vous la francophonie du XXIe siècle?

Yves BIGOT. – En la mettant au pluriel, tout d’abord. Il faut parler des francophonies. À TV5MONDE, on le pratique depuis longtemps. Il y a trois ans de cela, le président de la République était à l’Institut de France, il affirmait que la France envisagerait désormais le français dans le cadre du plurilinguisme, à côté d’autres langues internationales, comme l’anglais, le chinois, mais aussi des langue nationales ou régionales, comme on trouve en francophonie. Certes en France, le français est la langue unique, mais chez nos voisins francophones, la Suisse, par exemple, a quatre langues, la Belgique en a 3 et le Canada, deux. De fait, les francophonies sont dans l’ADN de TV5 Monde. On ne considère jamais le français ou la francophonie comme des objets colonialistes. À l’origine, si c’est le cas, les pères des indépendances ont choisi d’utiliser le français pour en faire une langue internationale, connectée au monde.

354 millions de foyers ont accès à TV5 Monde. Où êtes-vous le plus regardé?

Nous sommes le plus regardé en République démocratique du Congo, mais aussi en Côte d’Ivoire, au Cameroun. On retrouve parmi les dix premiers pays: le Maroc, la Roumanie, le Vietnam et l’Inde, depuis deux ans. C’est très intéressant, parce qu’il y a très peu de francophonie dans ce dernier pays. De plus en plus d’Indiens regardent pourtant nos programmes parce que nous offrons un sous-titrage en anglais. Si l’on avait les moyens budgétaires, on aimerait pouvoir sous-titrer ces programmes en hindi afin de toucher davantage de public. Les séries québécoises sont les plus populaires. Il y a un lien, qui, sans-doute participe du Commonwealth entre le Canada et l’Inde, puisqu’il y a une émigration indienne relativement importante au Canada. Le français, le Québec, la francophonie bénéficient de tout cela.

« Nous avons un rôle d’enseignement, ce qui est assez rare dans les chaînes télévisées françaises. Quand vous regardez un programme sous-titré, au passage vous apprenez des éléments de langage »

Vos programmes varient-ils en fonction des pays?

Les programmes varient en fonction des régions, nous avons huit chaînes généralistes dans différentes parties du monde: France, Belgique, Suisse ; TV5 MONDE Europe, TV5MONDE Maghreb-Orient ; TV5MONDE Afrique ; TV5MONDE Etats-Unis ; TV5MONDE Amérique latine ; TV5MONDE Asie et TV5MONDE Pacifique. Nous disposons de 13 langues de sous-titrage et en plus de ces chaînes généralistes, une chaîne jeunesse qui a été lancée aux Etats-Unis en 2012 ainsi qu’en Afrique, en 2016, et qui connaît un immense succès: 22 millions de téléspectateurs. On a d’ailleurs le projet, d’ici la fin 2021, de pouvoir lancer cette chaîne dans le monde arabe. Enfin, nous avons une chaîne consacrée à l’art de vivre qui s’appelle TV5MONDE style, en plus évidemment de notre plateforme TV5MONDE plus qui est disponible gratuitement dans le monde entier. Nous sommes la chaîne de la francophonie et des francophonies.

60% des gens qui vous regardent ne parlent pas français. Cependant, grâce aux 13 langues de sous-titrage, ils consultent vos programmes. Ces derniers, participent-ils de l’apprentissage du français?

Oui, c’est l’une de nos missions. Nous avons un rôle d’enseignement, ce qui est assez rare dans les chaînes télévisées françaises. Quand vous regardez un programme sous-titré, au passage vous apprenez des éléments de langage. Notre chaîne jeunesse qui cible les 4-13 ans est capitale à ce titre. Si vous êtes un jeune africain, et on l’espère demain, un jeune maghrébin, et que vous regardez des dessins-animés, vous allez apprendre le français. Il y a tout juste un an, nous avons lancé une application Apprendre le français avec TV5MONDE. Elle a d’ores et déjà dépassé le million de téléchargements.

Signe, s’il en fallait encore un, du rayonnement de la francophonie…

Oui, il y a un vrai appétit de l’apprentissage du français. Cela se constate par ailleurs aux États-Unis, où l’élite américaine souhaite apprendre le français. C’est un «plus» face à la concurrence notamment lorsqu’on cherche un «top job». L’alliance française de New York n’arrive pas à répondre à la demande d’élèves en français tellement il y en a! Et puis, en Chine, qui n’est pas un pays francophone, le français demeure très important. On y donne des cours de façon remarquable et de façon très expansive, puisqu’il s’agit pour le pays d’envoyer des entreprises, des employés en Afrique francophone.

La Semaine de la francophonie s’est ouverte cette semaine notamment avec le lancement du Dictionnaire des francophones. Qu’apportent les francophonismes?

Nous sommes partenaires du Dictionnaire des francophones. À TV5MONDE, on parle le français de France, de Suisse, de Belgique, du Québec mais aussi celui de Côte d’Ivoire, du Cameroun, du Rwanda, du Maroc… C’est cela qui enrichit la langue. Ce sont les apports extérieurs, l’humour, l’intelligence qui garantissent l’avenir du français. Ils montrent que la langue est capable de se moderniser et de s’adapter aux conditions locales où elle est parlée. Le français aura ainsi les chances d’être l’une des langues majeures du XXIe et peut-être du XXIIe siècles.

À l’occasion de cette Semaine, vous avez créé de nombreux rendez-vous, dont «Bilinguisme, la grande utopie canadienne» et «I speak français». Comment se porte le français dans ce pays?

Oui, mais la situation du français est très délicate au Canada. Elle est combattue par les anglophones qui sont majoritaires. Ceux-ci essayent de faire de la lutte contre le français un argument politique et électoral. La situation est donc très tendue. Ce, alors que Justin Trudeau est parfaitement bilingue et que son épouse est une vraie Québécoise, francophone. Son gouvernement et Mélanie Joly, ministre des Langues officielles, se battent pour soutenir le français. Mais même à Montréal, le français est chahuté par les anglophones. Lorsque vous entrez dans un commerce, on vous dit: «Bonjour-hi!»… Le gouvernement de Justin Trudeau voudrait imposer le bilinguisme au Canada, mais ils rencontrent beaucoup de résistants.

« L’avenir de la francophonie se fait dans le continent africain »

Vous proposez également des web séries: «parlons peu, parlons bien», «un point c’est tout»… Sont-ce des formats qui reviendront, en dehors de la Semaine de la francophonie?

Nous mettons ces programmes en avant à l’occasion de la Semaine de la francophonie, mais ils sont disponibles sur nos antennes comme sur notre plateforme, toute l’année. Nous produisons beaucoup de web-séries qui ne tournent pas nécessairement, d’ailleurs autour de la langue. Nous cultivons tous les genres: fiction, humour… Nous lançons par ailleurs en fin de semaine: Mélody, la victoire en chansons, la première comédie musicale d’Afrique Francophone et co-produite par TV5MONDE.

Vous produisez et investissez notamment dans la production de séries africaines. Allez-vous démultipliez ces efforts en vue des estimations d’un boom démographique en Afrique, en 2050?

On le fait déjà, puisqu’on connaît ces chiffres depuis environ cinq, six ans. C’est pour cela que nous produisons beaucoup de cinéma et séries africaines, mais également des programmes autour de la santé, de l’économie et du développement durable. On le fera de façon d’autant plus exponentielle qu’on aura les moyens budgétaires de le faire. On voit bien que l’avenir de la francophonie se fait dans le continent africain. C’est en cela que la francophonie du XXIe siècle est vraiment partagée. Il ne s’agit pas d’un mouvement du Nord vers le Sud, mais du Nord avec le Sud, ensemble.

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