Il n’y a pas un, mais plusieurs français

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Il n’y a pas un, mais plusieurs français

 
Supposition : vous êtes un jeune avocat et sortez à peine d’un entretien d’embauche. Vous vous êtes habillé avec goût, êtes parti à votre rendez-vous avec une heure d’avance et avez particulièrement soigné la qualité de votre expression orale. D’ailleurs, vous n’êtes pas mécontent de votre conclusion : « Ce poste constituerait un tremplin extraordinaire pour ma carrière. Je ne pourrais imaginer exercer ailleurs et serais singulièrement honoré d’oeuvrer à l’avenir au sein de votre prestigieux cabinet ».

C’est maintenant la fin de journée. Vous rejoignez quelques amis pour regarder un match de foot du PSG en partageant une pizza. Là, changement de registre. On vous entend hurler : « Mais c’est pas vrai : y passe jamais la balle, cui-là ! ». Tant pis pour les formules littéraires, tant pis pour les négations…

En résumé ? Un même individu, deux registres de français différents. Et une leçon : contrairement à ce que l’on croit parfois, notre langue nationale n’est ni fixe ni uniforme, mais connaît de multiples variations. En voici quelques exemples (j’indique entre parenthèses la formulation savante) :

· Selon les situations (variation diaphasique).
Comme on vient de le voir, une même personne jongle selon les situations avec plusieurs registres de français, l’important étant de savoir s’adapter à la nécessité du moment. Vous pouvez conclure un courrier administratif par la formule « Daignez, cher Monsieur ». Je vous déconseille de l’utiliser pour commander un verre de blanc au café du coin lorsqu’il rouvrira…

· Selon le temps
(variation diachronique). « Comment pourrais-je gouverner autrui, qui moi-même gouverner ne saurais ? ». Il suffit de se plonger dans Rabelais pour le constater : le français écrit du XVIe siècle n’est plus vraiment le nôtre. Si la pensée du grand François reste compréhensible, personne n’exprimerait aujourd’hui la même idée de cette manière.
Ce qui est vrai à l’échelle des siècles l’est aussi à l’échelle d’une vie. Les « réclames » dont parlaient nos grands-parents sont devenus des publicités, voire de simples pubs. Les ados d’hier étaient heureux d’aller à des « surprises-parties », surtout lorsqu’elles étaient « super-bath » ; un lycéen d’aujourd’hui préférerait mourir plutôt que d’utiliser de telles expressions.

· Selon les lieux (variation diatopique). Le français étant en usage sur les cinq continents, il varie bien évidemment d’un pays à l’autre. A Maurice, on ne rougit pas : on pique un soleil. En Suisse, on ne se prélasse pas, on se royaume. Au Québec, on ne se vante pas, on se flatte la bedaine. Au Cameroun, un homme à quatre yeux est un devin, etc (1). Cette variation géographique s’observe au sein même de la France où, selon les régions, un crayon à papier devient un crayon gris ou un crayon de bois (2).

· Selon le milieu social (variation diastratique). « Ça craint » ; « c’est dangereux » ; « cette situation me paraît bien périlleuse ». Une même réalité, trois manières de la décrire, et ce parfois au sein d’une même zone géographique. De fait, un habitant d’une cité de Trappes ne parle ni comme un agriculteur des Yvelines ni comme un haut fonctionnaire de la préfecture de Versailles.

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· Selon le sexe (variation diagénique). Plus surprenant encore, les femmes ne parleraient pas le même français que les hommes. Mesdames, sachez-le : d’après les chercheurs, vous recourriez plus souvent aux adjectifs d’admiration (« adorable », « délicieux ») et aux diminutifs (« un petit café ») ; interrompriez plus fréquemment vos phrases ; articuleriez plus rapidement et prononceriez moins de jurons que le sexe dit fort. Ces habitudes différenciées ne doivent rien à la génétique mais tout aux conventions sociales : en 2021, encore, un « merde » bien sonore reste mieux accepté chez un homme que chez une femme. Les inégalités économiques jouent aussi un rôle : selon les linguistes, c’est pour tenter de s’élever socialement que les femmes seraient particulièrement attentives au respect des règles grammaticales.

· Selon le canal de communication (variation diamésique). Dans une lettre, on écrira éventuellement : « Cet été, nous ne les vîmes pas ». Mais au téléphone, le passé simple disparaîtra probablement au profit du passé composé : « Cet été, on ne les a pas vus », voire « on les a pas vus ». Faut-il s’en étonner ? Oui et non. Autant qu’on puisse le savoir, il a toujours existé une différence entre l’oral et l’écrit, ce dernier étant généralement plus conservateur et transcrivant un état plus ancien de la langue. Ce qui est nouveau, c’est que cet écart serait en train de s’accentuer. En cause : la généralisation de la scolarité, qui a tendance à rigidifier la langue à l’écrit, tandis que l’oral vit sa vie plus librement. C’est ainsi que, lorsque nous parlons, nous employons de moins en moins le passé simple, oublions le « ne » de négation, remplaçons « nous » par « on »… Et ce ne sont là que quelques exemples.

Conclusion ? « Une langue est régie par deux principes contradictoires : la variation et la fixité, indique Salah Mejri, professeur de linguistique à l’Université Paris XIII. S’il y a trop de variations, on ne se comprend plus ; il y a donc un besoin de stabilité. Mais si la fixité est trop grande, la langue n’évolue plus et meurt. Nous passons donc sans cesse d’un équilibre à un autre. » Il n’y a donc pas un mais des français, comme l’a brillamment illustré Raymond Queneau avec ses fameux Exercices de styles, où la même histoire est racontée de 99 manières différentes. Une manière de montrer que cette diversité n’est pas forcément source d’anarchie, mais peut constituer une source d’enrichissement.

(1) Nouveau dictionnaire insolite des mots de la francophonie, Loïc Depecker. Larousse, 12,90 euros. (2) Atlas du français de nos régions, Mathieu Avanzi. Armand Colin, 15,90 euros.

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« La France est le seul pays monolingue du monde francophone « , a affirmé la romancière sur France inter le 25 janvier dernier (vers 27’10). On rappellera donc à celle qui est aussi ambassadrice de la francophonie les trois points suivants. Un : on estime que, sous la Révolution, trois Français sur quatre ne parlaient pas français. Deux : aujourd’hui encore, la France est l’un des pays où la diversité linguistique est la plus grande d’Europe (hors langues de l’immigration). Trois : selon l’Insee, un adulte sur seize parle une langue régionale en métropole (et bien davantage outre-mer). On remarquera enfin que l’animateur, Augustin Trapenard, a laissé passer cette contrevérité sans réagir…

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Le rappeur Jul répond aux critiques sur son orthographe approximative Le mea-culpa du rappeur après son arrestation avait suscité des moqueries en raison de nombreuses fautes d’orthographe. Dans un message Facebook, Jul tacle ses contempteurs.
 
 
   
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