“Sur le bouts des langues“ par Michel Feltin-Palas.

L’AFAL vous informe :

 Langues régionales à l’école : un « combat inutile et douteux », vraiment ?
En disqualifiant par cette formule l’enseignement immersif des langues minoritaires de métropole, le linguiste Alain Bentolila commet plusieurs erreurs de raisonnement.
Alain Bentolila a de nombreuses qualités. Linguiste à la riche carrière, il a longtemps travaillé en Afrique, élaboré un dictionnaire haïtien-français et rédigé de nombreux ouvrages (1), où il explique notamment que « le langage est un bien précieux, que nous devons chérir et protéger » – ce qui me le rend a priori très sympathique. En revanche, je suis en désaccord total avec l’article qu’il vient de publier dans Le Journal du Dimanche intitulé « Les langues régionales à l’école, un combat inutile et douteux« . Un texte dans lequel il développe une argumentation qui me paraît comporter de nombreuses erreurs. Voici pourquoi.

.« Des langues qui ont manqué de chance. » Rien à redire sur le début du texte. « Le breton, le basque, l’occitan (…) sont en fait des langues qui ont manqué de chance, écrit-il. Elles possédaient tout comme la langue française des structures phonologiques, syntaxiques, lexicales qui leur eussent assuré un égal potentiel de communication, mais on les sacrifia au nom d’un idéal républicain : une langue, une école, une armée ». Jusque-là, tout va bien. C’est après que cela se gâte.

· « Eduquer en français dans nos écoles fut une décision de partage culturel et d’égalité des chances ». Alain Bentolila défend ici une étrange notion du « partage ». Le français, c’est un fait, est pratiqué sur l’ensemble du territoire national : nous l’avons donc en partage. Mais de quelle manière les Parisiens ont-ils en « partage » le breton, le basque et l’occitan, pour reprendre ses trois exemples ? En réalité, il n’y a pas eu en France « partage », mais imposition d’une seule langue dans l’ensemble des régions conquises au fil des siècles par le pouvoir central, ce qui n’est pas exactement la même chose.

· Venons-en à« l’égalité des chances ». Dans un pays qui compte officiellement quelque soixante-dix langues (outre-mer compris), où est « l’égalité » quand l’une d’entre elles dispose de tous les statuts de prestige (éducation, administration, entreprise, grands médias, etc.) tandis que les autres sont reléguées à la sphère privée ? Que dirait Alain Bentolila si, par hypothèse, le français était remplacé demain par le corse et si le nationaliste Jean-Guy Talamoni lui assurait qu’il s’agit là d’une « décision de partage culturel et d’égalité des chances » ?

· « Faut-il faire de ces langues, jusqu’ici cantonnées à un usage de familiarité, les outils de l’administration et de l’enseignement ? » Cette assertion est tout simplement fausse, comme le lui rappelle fermement le sociolinguiste Philippe Blanchet dans une autre tribune publiée également par Le Journal du Dimanche (2). Nombre de langues dites aujourd’hui régionales, à commencer par mon cher béarnais, ont été par le passé langues d’enseignement, langues de littérature, langues d’Etat. Il est d’ailleurs curieux de constater que, sur ce point, Alain Bentolila reprend les arguments utilisés à la fin du Moyen Age et sous la Renaissance par ceux qui refusaient de voir le latin remplacé par… le français, ravalé à cette époque au rang de « langue de la familiarité ».

· « C’est bien mal connaître les langues que de croire que l’on peut modifier leurs fonctions sociales en décrétant leur officialisation. » Toute l’histoire des langues prouve l’inverse ! Qu’a fait Israël avec l’hébreu ? Qu’a fait la France avec le français ? Comment, au Québec, notre langue résisterait-elle à l’anglais si elle ne disposait pas de lois l’imposant dans les médias, l’enseignement, les entreprises, les magasins et les administrations ? A l’inverse, pourquoi la pratique de l’alsacien (par exemple) décline-t-elle depuis 1945, si ce n’est parce que, pour la première fois depuis le Moyen Age, la langue historique de cette région a été exclue de l’école (3) ? L’essor ou le déclin d’une langue n’a rien de spontané : tout dépend du statut qui lui est accordé – ou non.

· « La plupart des élèves ont pour langue maternelle le français », relève Alain Bentolila en concluant que, dès lors, « la création d’isolats scolaires en Bretagne, en Occitanie ou ailleurs ne se justifie pas ». Voilà qui est admirable ! Du temps – pas si lointain – où, dans ces régions, tous les enfants ou presque parlaient la langue de leurs aïeux, il fallait impérativement que l’enseignement fût en français pour les transformer en citoyens. Et aujourd’hui que la pratique s’étiole, l’école doit rester en français puisque les locuteurs ne sont plus assez nombreux. Pile je gagne, face, tu perds ! (4)

· « Faut-il aujourd’hui tenter de redresser les torts de l’Histoire ? », interroge Alain Bentolila avant de répondre « non ». Tiens, tiens… N’aurait-il donc jamais fallu accorder le droit de vote aux femmes ni interdire le travail des enfants ? Toute la grandeur de l’évolution humaine consiste précisément à « redresser les torts de l’Histoire ». L’on ne voit pas au nom de quoi les inégalités linguistiques devraient échapper à cette ambition.

· « L’important, c’est de distribuer de la façon la plus équitable le pouvoir de tous les citoyens de comprendre et de se faire comprendre. » Alain Bentolila confond ici langue commune et langue unique. Personne, à ma connaissance, n’exige de pouvoir parler picard à Marseille ni catalan à Strasbourg.Personne ne souhaite revenir à parler exclusivement basque ou breton. Il s’agit simplement de permettre à ces langues de se maintenir sur le territoire où elles sont historiquement en usage en plus et non à la place du français. Il n’y a donc aucun risque d’incompréhension.

· « Un combat inutile et douteux. » Sauver une langue est-il utile ? Tout dépend en réalité des priorités que l’on se fixe. Ledit combat est inutile, en effet, pour qui se satisfait de l’uniformité des modes de vie et de pensée. Il est on ne peut plus utile, au contraire, pour qui considère précieuse la diversité culturelle de l’Humanité. Alain Bentolila, visiblement, semble se ranger dans la première catégorie, ce qui évidemment son droit. Qu’il se méfie tout de même, car il se pourrait qu’au nom de cette même « utilité », certains proposent un jour de remplacer le français par l’anglais, y compris en France. Il se trouvera alors, je n’en doute pas, des personnes pour s’opposer à cette régression. Et, hélas, de nouveaux Alain Bentolila pour dénoncer leur « combat inutile et douteux ».

(1) Dernière parution : Nous ne se sommes pas des bonobos, Odile Jacob.
(2) « Langues régionales : des faits contre le discours trompeur d’Alain Bentolila« 
(3) Histoire linguistique de l’Alsace, Pierre Klein (I.D. l’Edition)(4) J’emprunte cette argumentation à l’universitaire Patrick Sauzet qui avait déjà relevé cette contradiction lorsqu’en 2001, Alain Bentolila s’était opposé à la signature par la France de la charte européenne des langues régionales et minoritaires. On lira ici avec profit son article de l’époque.

À LIRE AILLEURS
« Le Québec, nation dont la langue officielle est le français » 
Tels sont les propos tenus par le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, au moment où le Québec se dote de nouvelles mesures pour renforcer l’usage du français. Une déclaration qui provoque la colère de la presse anglophone.

La langue française entre dénigrement et expansion
Le français est-il en régression ou en plein essor ? Dans Les Echos, Yves Montenay, démographe et président de l’Institut culture, économie et géopolitique (Iceg) répertorie les données de base que devraient mieux connaître selon lui ceux qui s’expriment sur ce sujet.

Les nouveaux mots de la biologie 
Grâce aux experts de la Commission d’enrichissement de la langue française, de nouveaux termes ont été publiés au Journal officiel dans les domaines de la biologie cellulaire, de la biochimie et de la génétique. Parmi eux, les « ciseaux moléculaires » (au lieu de molecular scissor), expression médiatisée à l’occasion de la remise du prix Nobel de chimie à la française Emmanuelle Charpentier et à sa consoeur américaine Jennifer Doudna.

Non au vocabulaire politiquement correct
Depuis quelque temps, « banlieue sensible » a tendance à remplacer « quartier dangereux » ; « ouvrier paysagiste », jardinier municipal ; « élève fragile », cancre… Dans son récent ouvrage, Appelons un chat un chat » (Les éditions de l’Opportun), Françoise Nore dénonce cette évolution qui, pour procéder souvent d’une bonne intention, contribue selon elle à affaiblir la langue française.

Lancement d’une pétition « Justice pour nos langues
« Une pétition sous ce titre vient d’être lancée sur le site mesopinions.comafin, notamment, d’assurer la pérennité de l’enseignement immersif. Elle réclame, entre autres mesures, une réécriture de l’article 2 de la Constitution invoqué par le Conseil constitutionnel pour justifier la censure de la loi Molac.

L’enseignement immersif sauvé en Corse ?
La rectrice s’est engagée à ce que les écoles immersives ouvrent sans difficultés en Corse à la rentrée 2021. C’est du moins ce qu’a affirmé l’élu nationaliste Saveriu Luciani après une rencontre avec la représentante du ministère de l’Education nationale sur l’île de Beauté. Et ce, malgré la décision du Conseil constitutionnel interdisant ce type d’enseignement.

La Charaìssa, un mensuel tout en nissard
LaCharaìssa (La Causerie) est un mensuel en nissard publié en format de poche depuis 2017. Animé par Sandra et Ricou Scoffier, il cherche à rassembler les Niçois de naissance et de coeur autour de la défense de la culture locale et la transmission de la langue nissarde. L’association du même nom organise également une fois par mois une merenda (un casse-croûte) pour parler, chanter et danser.

De nouveaux panneaux en langue normande 
Le panneau d’entrée de la commune de Marchésieux (Manche) affiche désormais son nom en français et en normand : Marchuus. Une évolution due à la volonté de la commune, aidée par la Région Normandie, soucieuses l’une comme l’autre revaloriser la culture normande et de renforcer le sentiment d’appartenance des habitants. Comme Marchuus, 153 communes se sont engagées dans cette démarche.

L’occitan à l’honneur lors des Rencontres de Salinelles
La seconde édition des Rencontres de Salinelles se tiendra du 11 au 13 juin dans ce petit village du Gard proche de Sommières. Au programme : la mise à l’honneur de la culture et de la littérature d’oc d’hier et d’aujourd’hui. J’aurai également le plaisir d’y donner une conférence ayant pour thème : « Pourquoi parler occitan alors que tout le monde comprend le français ? » Tous les détails ici :

À ECOUTER
Les langues régionales dans Le vif de l’histoire, sur France Inter
Le journaliste Jean Lebrun revient sur la décision du Conseil constitutionnel concernant la loi Molac. Et pointe la différence de traitement entre le sort réservé, d’un côté, aux langues régionales et, de l’autre, à l’anglais, présent dans nos rues, sur les ondes et désormais sur nos cartes d’identité.

À REGARDER
Pourquoi un h à posthume ?, par Bernard Fripiat
L’adjectif « posthume » – avec un h – vient du latin postumus – sans h – qui signifie le dernier. Pourquoi avons-nous ajouté une lettre ? Le facétieux Bernard Fripiat explique cette bizarrerie de la langue française avec érudition et humour.

Les langues régionales menacent-elles l’unité de la République ?Le 29 mai, des milliers de manifestants défendaient dans les rues le catalan, l’alsacien, le breton, le basque et les autres langues minoritaires de France. Le 31, Arte consacrait son émission 28 minutes à ce sujet, avec pour invités l’avocate Régine Barthélémy, cofondatrice d’une école immersive en occitan à Montpellier et le linguiste Alain Bentolila.

Réagissez, débattez et trouvez plus d’infos sur les langues de France en me rejoignant sur LA PAGE FACEBOOK DEDIEE A CETTE LETTRE D’INFORMATION
 Langues régionales : sortir de l’ambiguïté
La France prétend vouloir sauver sa diversité linguistique, sans s’en donner les moyens.
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 Jean-Marie Rouart : « Les langues régionales ne doivent pas se substituer au français
« Selon l’académicien, la priorité de notre pays doit aller à la défense de la langue nationale, menacée aujourd’hui par l’anglais.
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